C’était un jour ensoleillé, et Anna était assise sur le divan du salon, face à la baie vitrée grande ouverte donnant sur les jardins de la résidence. Il faisait très chaud et dans l’herbe, un petit homme de 4 ans seulement s’amusait à imaginer qu’il était un grand ninja. Anna le voyait faire des cabrioles en riant intérieurement, le surveillant avec le regard doux et aimant d’une mère. Il sautillait, les poings en l’air, les jambes se tortillant telles des spaghettis autour de lui. Puis elle ne le vit plus. Elle se leva tant bien que mal, tenant son ventre rond de sa main gauche, et s’avança vers la fenêtre.
« Noah ! »Il était à terre, allongé, hilare de sa chute idiote. Il s’assit lorsqu’il vit sa mère les sourcils froncés.
« J’ai tombé, maman. Mais c’est rien j’ai même pas mal ! »
« Fais attention à ce que tu fais, un peu… »
Elle avait un sourire angélique sur le visage, mais il se transforma bientôt en rictus puis en grimace de douleur.
« Qu’est-ce qu’il y a maman ? »
« Rien, c’est le bébé, va chercher ton père mon chéri s’il te plaît ! »
Le petit blondinet partit en courant de l’autre côté de la maison, où il trouva son père avec les jardiniers.
« Papa ! Papa ! Maman a besoin d’toi, il y a le bébé qui lui fait mal ! »
« J’arrive ! »
Il donna quelques dernières instructions aux employés puis prit la main de son fils et trottina jusqu’à la porte.
« Je crois bien que ton frère va arriver ! »Et ce fut le cas. Le lendemain, après une longue nuit de travail intensif, le petit Gabriel pointa le bout de son nez. Noah n’en était pas très fan, mais il était tout de même fier d’être
« le grand maintenant ! » mais malgré tout…
« il est quand même pas très beau… »•Les années passèrent et les deux garçons grandirent dans l’amour et le luxe. Bien que gâtés et bien élevés, dès que Gabriel eut l’âge de parler, les deux frères ne cessèrent de se chamailler pour un oui comme pour un non.
Noah avait déjà 8 ans et son caractère fort et dominant s’était déjà bien installé.
« Sors de ma chambre, vieux poulpe assaisonné ! » criait-il à son frère tout en le poussant en dehors de la pièce. « Alleeeeez lààààà !!!!!! »
Mais le petit faisait de la résistance, et coinçait le bras de son grand frère entre ses deux rangées de jolies dents bien aiguisées.
« MAMAAAAN !!! »Gabriel riait aux éclats alors que Noah avait finalement réussi à le pousser dans le couloir et refermé sa porte.
« T’es qu’un gros caca poilu NOAH !!!! » hurlait-il avant de descendre les escaliers en boudant.
•A l’adolescence, les deux frères ne s’entendaient pas beaucoup mieux. Seulement 4 ans les séparaient, et pourtant cet écart semblait large comme le monde à cette période-là. L’un s’intéressait aux filles et au surf pendant que l’autre continuait de jouer à Mario sur sa console. Enfin sa console, plutôt celle qui se trouvait dans la chambre de l’aîné, et qui évidemment était presque inaccessible.
Gabriel toqua à la porte.
« Quoi. »
« Tu m’ouvres ? J’ai rien à faire. »
« Non j’crois pas non. »
« Allez Noah, je m’ennuie ! Ouvre, j’veux jouer ! »
« Déjà on dit s’il te plaît et ensuite, va t’faire voir ! »
« S’il te plaît, va t’faire voir ! »
La porte s’ouvrit brutalement et Noah le regardait d’un air blasé.
« T’es con. » lança-t-il avant de le laisser entrer. « J’te laisse jouer si tu restes muet, et que tu m’laisses bosser. Parce que MOI je bosse. »
« Chef, oui chef. » Il s’installait sur le pouf face à la télévision, manette en main.
« T’as travaillé toi, ou tu comptes encore faire rager les parents ? »
Gabriel lui répondit en articulant, sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche
« JE-SUIS-MU-ET », ce qui énerva son frère qui finit par se retourner pour étudier calmement ses cours.
•L’été de ses 18 ans, les Flint invitèrent la famille à venir se joindre à eux pour fêter l’anniversaire de Gabe. Il n’était pas très proche de sa famille, il faut dire qu’ils ne se déplaçaient que très rarement : il fallait de grandes occasions ou une urgence pour leur faire bouger leurs fesses. Non pas que le voyage fut cher, ils roulaient tous sur l’or, mais vous comprenez, ce serait une perte de temps de faire le voyage pour si peu. Aussi, pour un anniversaire, il était plutôt rare que l’on voit du monde pointer le bout de son nez, mais franchir enfin la Majorité, c’était autre chose !
Gabe qui avait pris l’habitude, avec les années, de ne prendre ses repas qu’en vitesse afin de passer le moins de temps possible à la maison, ne tenait pas en place. Il n’écoutait pas ce qui se disait autour de la table, ne prenait pas part aux conversations et n’avait qu’une envie, tout en tapant du pied et se rongeant les ongles : quitter cette bande de vieux hypocrites et partir sur la plage afin de s’évader de sa vie.
Mais un silence le sortit de ses pensées, et lorsqu’il posa le regard sur le peuple face à lui, ils étaient tous en attente de quelque chose.
« Quoi ? »
« Ta tante te demandait ce que tu devenais, Gabriel. Et je pense que nous ne pouvons pas répondre à ta place puisque nous ne savons pas vraiment… » lui répondit sa mère d’un ton sec et plein de reproches.
Il détestait quand elle faisait ça : Jouer la mère meurtrie qui souffre du manque d’ambition de son enfant. C’était tellement pitoyable, et pourtant ça marchait
à chaque fois. Les regards restaient posés sur lui tandis que ses parents fixaient leurs couverts.
« Eh bien, il se trouve que j’ai décidé d’arrêter les études après mon diplôme. J’espère pouvoir en profiter un peu avant de me trouver un petit boulot qui me permette de me casser de cet endroit et de vivre seul et libre ailleurs. Parce que j’étouffe au milieu de cette pression familiale qui embaume chaque pièce de la maison. J’ai d’autres aspirations que d’hériter de l’entreprise de papa qui l’a lui-même reçu de son père, pour finir avec de l’argent plein les poches, à me payer le balai que je me mettrai dans le cul afin de rester dans vos rangs ! »
« Gabriel ! »
Noah s’était levé de table, il se dirigea vers son petit frère, lui attrapa le col et lui fit signe de le rejoindre à l’intérieur. Le jeune homme dégagea la main de son frère avant de replisser son t-shirt et d’annoncer avec un grand sourire à la table qu’il quittait «
Bonne fin d’appétit ! ».
Lorsqu’il entra dans la maison, il rejoignit son frère dans la cuisine. Celui-ci était en train de faire les cent pas, les poings serrés contre la table.
« Tu comptes me frapper ? » demanda le plus jeune.
« Arrête de faire ton malin. »
« Quoi ? Je dois la fermer, et jouer au petit chien ? Comme toi ? »
« T’es vraiment un petit con ! Tu te crois intelligent et mature en agissant comme ça avec maman ? Aujourd’hui ? »
« C’est ma journée, je fais ce dont j’ai envie, et personne ne me donnera d’ordre désormais. »
« Ah oui, tu crois ? Tu penses qu’en ayant 18 ans ta vie va changer ? Que tu vas être libre dès que tu quitteras la maison ? Que tu vas passer du statut de moins que rien à dirigeant de multinationale en une journée ? Dis-moi, tu crois aussi au Père Noël ? »
« Va t’faire foutre. »
C’était « le mot » de trop. Noah ne se retint plus et envoya son poing dans la figure de son frère, qui lui répondit de la même manière. Ils continuèrent comme ça jusqu’à ce que l’un deux ne commence à saigner. Ils avaient franchis un cap jusqu’alors inexploré et c’est après un dernier regard empli de rage et de regrets que Gabriel quitta la pièce et monta jusque dans sa chambre afin de préparer ses affaires et de partir précipitamment.
Il ne savait pas vraiment jusqu’où rouler. Il hésitait à simplement s’arrêter sur la plage où il avait ses repères et où l’air de l’océan le calmerait, ou continuer beaucoup plus loin, là où personne ne viendrait le chercher, ne le connaîtrait et où il pourrait finalement rester. C’était une bien grande décision, prise sur un coup de tête violent, mais peut-être était-ce le meilleur moyen de commencer une nouvelle vie ? Celle qu’il avait choisie, celle pour laquelle il s’était tant rebellé ces derniers temps tout en se détachant complètement de ses parents, et même de son frère.
•Cela faisait maintenant 7 ans que Gabriel était à Tacostown. Il s’y était d’abord arrêté pour la nuit, dans un hôtel afin de pouvoir réfléchir et peut-être repartir plus loin. C’était étrange, mais il s’était très rapidement senti chez lui ici, et il se débrouilla pour trouver un job de caissier au Kiwi’s Diner dans la semaine qui suivit son arrivée.
Il se dégota aussi un appartement à l’Ostrich Neighborhood en piochant sur son compte qui était ma foi, bien rempli, et commença sa nouvelle vie sur les chapeaux de roues.
Aujourd’hui, et depuis maintenant 4 ans, Gabriel est devenu Lifeguard. Et si, au début il pensait que ce serait le métier idéal pour faire son beau gosse sur la plage et taper la causette aux filles, c’était sans compter sur la présence de Gégé qui finalement, faisait un peu fuir la populace. Aussi, son boulot était
très tranquille et lui permit de devenir un pro de xBox et de sieste.